Le Québec à l’honneur au Salon Révélations de Paris – Entrevue avec la commissaire Marie-Ève Castonguay

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Marie-Eve G. Castonguay est créatrice de bijou contemporain, écrivaine et conservatrice indépendante basée à Montréal. Elle est titulaire d’un diplôme de l’École de joaillerie de Québec (2011) ainsi que d’un baccalauréat en beaux-arts de l’Université NSCAD (2013). Elle complète ensuite une résidence de quatre ans au Centre Harbourfront à Toronto. Elle poursuit actuellement une maîtrise en histoire de l’art à l’Université Concordia. Elle a reçu de nombreuses subventions et récompenses, notamment le prix Jean-Cartier en 2020. Son travail a été présenté dans de nombreuses expositions à travers le Canada et à l’étranger.

Membre active de la communauté, elle a cofondé MetalAid, un réseau canadien de bijoux contemporains, et elle est actuellement ambassadrice canadienne de Art Jewelry Forum. Elle a occupé pendant trois ans le poste de chargée de projets aux communications à l’École de joaillerie de Montréal et depuis l’automne 2022 elle enseigne dans le cadre du programme collégial. Depuis maintenant deux ans, elle est responsable du commissariat de la représentation québécoise de l’édition Révélations présentée à Paris le mois prochain. C’est sur ce sujet qu’elle répond à nos questions dans cet article.

 

Qu’est la biennale Salon Révélations? Son importance. Sa mission.

Le Salon Révélations est l’événement central de la Biennale Révélations, biennale internationale des métiers d’art et de la création. L’événement a lieu à Paris depuis 2013. Cette année marque donc le 10e anniversaire de la biennale, qui en est à sa 6e édition.

Révélations offre un espace pour la pièce d’expression en métiers d’art, et se veut un événement international rassemblant les pratiques issues de toutes les disciplines en métiers d’art. Elle célèbre l’excellence, mais aussi l’avant-gardisme et la découverte de nouveaux talents. L’événement contribue à consolider la place des métiers d’art dans la société et dans l’économie mondiale, en permettant aux créatrices et créateurs d’aller à la rencontre du public, composé de particuliers comme de maisons de design et de luxe, d’institutions muséales, et d’autres acteurs importants du milieu de la création et de la diffusion d’œuvres d’art.

Au Québec, on n’a pas vraiment d’événements de la sorte. Les grands événements, comme le Salon des métiers d’art du Québec, par exemple, sont d’avantage destinés à l’objet utilitaire. Révélations représente donc une extraordinaire vitrine pour les créatrices et créateurs qui se situent ailleurs dans le spectre des possibilités en métiers d’art.

Révélations 2019

 

L’organisateur est Ateliers d’art de France? Quel est son mandat en France?

Ateliers d’art de France est un syndicat professionnel pour le secteur des métiers d’art, et il regroupe 6000 ateliers situés partout sur le territoire français. Bien que très différent, ce qui s’en rapproche le plus au Québec est sans doute le Conseil des métiers d’art du Québec. De façon similaire, les deux organismes contribuent à faire reconnaître la place des métiers d’art. Toutefois, Ateliers d’art de France a été fondé en 1868, comparativement au CMAQ qui est né il y a un peu plus de 30 ans. La professionnalisation des métiers d’art en France est donc une chose établie depuis longtemps, et AAF a grandement contribué à cet effort en représentant et en défendant les droits des professionnels du milieu, et en contribuant au développement du secteur.

Une des initiatives de développement sectoriel consiste en la tenue d’événements, et la Biennale Révélations fait partie de cet élan. AAF possède aussi une maison d’édition, et publie deux magazines ainsi que plusieurs ouvrages spécialisés sur les métiers d’art. En plus de tout ça, ils opèrent quelques espaces d’expo-vente dans les régions de Paris et de Montpellier.

 

Ce salon met à l’honneur une région du monde à chaque édition, et le Québec est la nation à l’honneur cette année. Qui est l’initiateur de cette invitation?

Une petite délégation d’artistes du Québec avait été présentée en 2019, et l’éclectisme de la proposition québécoise avait su retenir l’attention du public et des organisateurs. La joaillière Gabrielle Desmarais faisait d’ailleurs partie de cette délégation. C’est la Maison des métiers d’art de Québec qui avait porté le projet, et vu l’intérêt suscité, elle a décidé de présenter à nouveau une sélection d’artiste à l’édition suivante. Pour ma part, je travaille donc avec la MMAQ sur le projet depuis 2020, et avec les annulations et reports occasionnés par la pandémie, on a eu le temps de joindre nos efforts avec le CMAQ. Une fois ce partenariat mis en branle, AAF nous a invité à proposer notre candidature comme nation à l’honneur, étant donné le succès de la participation du Québec en 2019. On a tout de même soumis notre dossier en bonne et due forme, mais en sachant que nous avions déjà une petite longueur d’avance!

 

Comment t’es-tu retrouvée à être commissaire de cet évènement?

J’ai moi aussi répondu à un appel de candidatures! La MMAQ cherchait une ou un commissaire pour une petite exposition qui serait présentée à Révélations, on parlait à l’époque de six artistes. Toutefois, avec l’association au CMAQ et notre sélection comme nation à l’honneur, je me suis retrouvée avec un beaucoup plus grand mandat! C’est une opportunité extraordinaire pour moi, et je dois dire que j’apprends énormément à travers ce projet. Je suis chanceuse d’être bien entourée, d’une part par la MMAQ et le CMAQ, mais aussi par le magnifique groupe d’artistes avec qui j’ai la chance de travailler.

 

Qu’est-ce qui t’a motivé à sélectionner ces artistes? Que veux-tu que l’on retienne de ta sélection?

Depuis plusieurs années, je cultive une profonde réflexion sur les métiers d’art, sur ce qui définit ce champ de pratique, et sur les frontières entre métiers d’art, design et arts visuels. Je trouve parfois les catégories contraignantes et peu représentatives du travail qui se fait réellement dans le milieu. J’ai vu en ce projet une opportunité de mettre en pratique toutes ces questions, et en résulte une sélection très éclatée. On parle parfois de pratiques s’inscrivant clairement dans les métiers d’art comme on les comprend déjà, mais dans certains cas, j’ai voulu mettre de l’avant des pratiques s’inscrivant peut-être davantage dans les arts visuels, mais qui témoignent d’une démarche orientée autour de la matière et du geste. Ces deux éléments sont pour moi les bases de ce qui constitue une pratique en métiers d’art, et je remets beaucoup en question la présupposition qu’une œuvre doit être classée métiers d’art ou art visuel, mais pas entre les deux. Alors j’ai utilisé la plateforme qu’on m’a offerte pour créer mes propres limites, pour jouer sur et avec les frontières, et pour secouer un peu les catégories!

J’aimerais donc que cet événement, qui se trouve à être marquant dans l’histoire récente des métiers d’art, initie une réflexion au sein du milieu des arts et des métiers d’art au Québec. J’ai toujours des idées de grandeur, parfois un peu trop, mais j’ai l’impression que ça a le potentiel de faire changer certaines choses. Mais après tout, mieux vaut rêver, et c’est sans doute mon petit côté rêveur et ambitieux qui m’a menée jusque-là!

 

Oeuvre de Charlotte Caron
Oeuvre de Jérémie St-Onge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quels sont les défis d’organiser un événement de cette ampleur à l’international?

La liste est longue! D’abord, le fait de travailler avec autant d’interlocuteurs, au Québec et en France, constitue un défi en soi. La MMAQ, le CMAQ, AAF, les artistes (près d’une cinquantaine!), et j’en passe. Ensuite, l’exportation d’œuvres d’art à l’international, surtout dans un contexte de vente potentielle, est un très gros morceau. Pour un événement qui a lieu en juin, nous avons dû rassembler toutes les œuvres à la mi-mars. Nous faisons affaire avec un transporteur muséal, qui fabrique des caisses de transport sur mesure pour les œuvres. Pour moi qui suis habituée avec le bijou et son petit format, c’est un tout autre niveau d’organisation. Et finalement, une grosse partie de mon travail de commissaire est de planifier la scénographie d’exposition, dans un espace qui sera construit sur mesure selon mes demandes. J’ai donc mis à l’œuvres mes connaissances de joaillière sur le logiciel Rhino, que j’ai utilisé pour dessiner les plans de construction des stands, et pour modéliser les volumes occupés par les œuvres. La scénographie est probablement ce que je j’ai trouvé le plus difficile, et même à ce stade-ci, j’ai encore peur des mauvaises surprises une fois sur place! Mais on ne pourra pas dire que je n’arrive pas préparée..!

 

Quelles sont les retombées attendues pour les métiers d’art québécois, pour les artistes?

Révélations représente un potentiel d’affaire incroyable pour les créatrices et créateurs. On parle de vente directe à des collectionneurs, mais aussi de possibilité de commandes futures et de partenariats avec des maisons de design ou de luxe, par exemple. C’est un marché qu’on n’a pas vraiment ici, et je suis vraiment heureuse de pouvoir offrir cette vitrine là à plusieurs artistes d’ici. Au sens plus large, je crois que cet événement permettra de consolider sur la scène internationale la place des métiers d’art québécois, mais aussi de faire valoir les métiers d’art ici, au Québec! Si on est assez extraordinaires pour se retrouver à l’honneur dans une événement d’une aussi grande ampleur et renommée, alors il est peut-être temps de reconnaître nous-mêmes le talent des artistes en métiers d’art qui œuvrent au Québec. Parce que selon moi, le secteur a encore trop peu de reconnaissance.

 

Peux-tu nous donner de quelques coups de cœur/ou artistes à surveiller?

C’est une question tellement difficile, j’ai hâte de TOUT dévoiler! Mais pour n’en nommer que quelques un.es, il y aura d’abord une toute nouvelle série d’Aurélie Guillaume, qui pour l’occasion présente non seulement des bijoux mais aussi des objets entièrement émaillés. Ensuite, on y retrouvera l’artiste Charlotte Caron, avec un immense tapis crocheté en dialogue avec une œuvre en résine époxy, qui questionne la hiérarchie des pratiques et des matières. Ensuite, on retrouvera une collection de vases et une sculpture de l’artiste verrier Jérémie St-Onge, connu sous le nom de Verre d’Onge, le mobilier sculptural de Loïc Bard, et un impressionnant tricot jacquard de Mylène Michaud représentant une vue aérienne du désert. Et finalement, une œuvre monumentale en perlage de billes de verre de l’artiste Anishinaabek Nico Williams et un ensemble de sculptures en bronze et acier de Maude Lauzière-Dumas.

 

Oeuvre de Maude Lauzière-Dumas

 

Oeuvre de Loïc Bard

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