Au delà du monde visible: Conversation avec Paul McClure

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Depuis le tout début de sa carrière, l’artiste torontois Paul McClure investigue le monde microscopique du corps humain. À compter du 25 mars prochain, il investira l’espace de la Galerie Noel Guyomarc’h avec sa toute nouvelle exposition Slice: Bijoux bionumériques, qui fut d’abord présentée à Toronto l’automne dernier, à la galerie Craft Ontario (image ci-dessus). Avec cette série d’œuvres, McClure poursuit son exploration des structures cellulaires et microbiennes, tout en naviguant à la frontière entre la fabrication manuelle et les technologies numériques. McClure nous parle de son processus créatif et de la conceptualisation de ce nouveau corpus d’œuvres dans une généreuse entrevue.

Coccobacillus, Cocci et Spirillum Slice. Broches. Argent sterling et nylon imprimé par frittage laser

 

Le nouveau corpus d’œuvres que présente la Galerie Noel Guyomarc’h s’inscrit dans le cadre de ton exploration continue du monde microscopique des bactéries, des virus et des cellules. Comment définirais-tu la nouvelle direction que tu as prise avec ce travail ?
Vibrio: Green Pink Microbes. Broche. Nylon imprimé par frittage laser puis teint, acier inoxydable (2021)

Le monde microscopique du corps humain sert de cadre à mon exploration des formes, des matières et des techniques. En observant de près ces formes microbiennes, je soulève non seulement la question du corps physique, mais aussi celle de la mortalité, de la beauté et de la vie au-delà du visible. En tant que pédagogue à plein temps, je ne dispose pas de beaucoup de temps pour créer, et lorsque j’en ai, c’est toujours trop peu pour pouvoir explorer pleinement une nouvelle piste. C’est pourquoi mon travail évolue progressivement. En ce sens, il ne s’agit pas d’une nouvelle direction, mais plutôt d’une continuation. Récemment, j’ai utilisé une technique de découpe pour visualiser les structures internes de mes formes. J’utilise de plus en plus les technologies numériques pour concevoir et fabriquer certains éléments en combinaison avec les techniques traditionnelles de joaillerie. Et je travaille de plus grands formats que dans le passé.

 

 

Quartier de la bijouterie à Birmingham
Tu as commencé à développer ce corpus d’œuvres lors d’une résidence à l’école de bijouterie de la Birmingham City University, au Royaume-Uni. À quel type d’équipement as-tu eu accès et as-tu pu explorer davantage pendant ton séjour ?

Oui, j’ai eu la chance de passer quatre mois à la BCU. La School of Jewellery (SoJ) est un merveilleux lieu d’apprentissage pour tous les domaines connexes (orfèvrerie, dinanderie, bijouterie d’art, design de bijoux, mode, horlogerie et gemmologie). Birmingham elle-même est une ville où la fabrication de bijoux est omniprésente : artisans traditionnels, ateliers indépendants et technologies de pointe. Je suis allée à Birmingham pour faire des recherches sur la conception et la fabrication assistées par ordinateur (CAO/FAO), et plus particulièrement pour utiliser la technologie de fabrication additive par fusion laser directe des métaux (Direct Metal Laser Melting, DMLM). La SoJ a conclu un partenariat industriel avec Cooksongold (le plus grand fournisseur britannique de l’industrie de la bijouterie) pour permettre aux étudiants d’accéder à une machine DMLM – qui est en fait une imprimante 3D pour l’argent et l’or.

J’ai également eu l’occasion d’en apprendre davantage sur la manière dont la SoJ forme la prochaine génération de créateurs et artisans bijoutiers. Nous avons établi un nouveau partenariat entre le George Brown College et la BCU afin que nos diplômés puissent y poursuivre leurs études et obtenir un diplôme. C’était donc aussi une occasion d’apprentissage et de réseautage pour moi en tant que pédagogue.

        

  1. Modèle DMLM en argent lors de la phase finale du processus d’impression, en train de se libérer de la poudre d’argent.
  2. Le modèle DMLM construit en argent est retiré de la table d’impression.
  3. Modèle en argent terminé, fusionné à une plaque en acier inoxydable.

 

Cliquez ici pour plus de détails sur le processus de fabrication des œuvres

 

Qu’est-ce qui t’a poussé à axer ton travail sur les technologies numériques ?

En ce qui concerne le métier de bijoutier, je suis un généraliste. Pour les créateurs du 21e siècle, les technologies numériques sont des outils importants à connaître. Je souhaite rester à jour et m’amuser avec quelque chose de nouveau et de stimulant. Je suis également attirée par la précision, le détail et la géométrie propres au numérique.

Y a-t-il un lien entre les thèmes que tu explores et les procédés que tu utilises pour créer tes œuvres ?

L’un des procédés que j’utilise consiste à découper ou à trancher des formes pour en révéler la structure. Pour moi, cette découpe est un geste puissant et symbolique. Elle représente une certaine curiosité, une volonté de comprendre en observant. Si nous nous référons à l’anatomie, la tranche représente également le seuil entre la vie et la mort, entre l’animé et l’inanimé. L’utilisation de la modélisation par ordinateur rend la découpe beaucoup plus simple, et me permet de tester diverses coupes et de découvrir différents motifs surprenants avant de consacrer le temps et le travail requis par la fabrication manuelle. Cette nouvelle série de pièces, intitulée Slice, fait également allusion à la méthode de formation des modèles informatiques, qui consiste à décomposer virtuellement ces derniers en des milliers de sections transversales que l’imprimante 3D reconstitue ensuite couche après couche, tranche après tranche.

Par ailleurs, les technologies numériques se prêtent parfaitement à la création de multiples et de variations. Il y a là une belle corrélation avec la multiplicité et les mutations des microbes. C’est un aspect que j’ai exploré avec la nouvelle collection de broches en nylon imprimées en 3D.

Rendu des œuvres à l’aide du logiciel Rhino
Slice. Broches. Nylon imprimé par frittage laser puis teint, acier inoxydable
L’utilisation de couleurs vives, qui contrastent toujours avec les tons neutres du métal ou, dans ce cas, avec les formes noires en nylon imprimé en 3D, est un élément déterminant de ton travail. Sachant que la couleur peut être hautement symbolique, comment choisis-tu habituellement les couleurs que tu intègres dans chaque pièce ?

Les logiciels de modélisation et de rendu par ordinateur produisent des visualisations exceptionnelles qui peuvent être découpées, rendues translucides, tracées de façon schématique ou rendues dans une gamme de couleurs vives. Mon travail fait référence à l’esthétique numérique, et la transpose dans le monde physique. Il y a une satisfaction incroyable dans le fait de matérialiser un objet que l’on a regardé à l’écran pendant des jours. Les couleurs vives font également référence aux représentations scientifiques et médicales que j’utilise dans mes recherches. Ces représentations sont souvent hautement stylisées au moyen de diverses couleurs afin de les rendre plus faciles à comprendre et certainement plus attrayantes.

Mon travail est évidemment très ludique et l’utilisation de couleurs primaires et secondaires saturées apporte une certaine joie à mes bijoux. Après tout, le mot anglais jewel a ses origines étymologiques dans le vieux français jouel, puis dans le latin gaudium, qui signifie joie. Nous avons tous besoin de joie en ces jours sombres, n’est-ce pas ?

 

Pendant ton année sabbatique d’enseignement au George Brown College, tu avais prévu tout un programme de résidences et de voyages de recherche, qui a été écourté par la pandémie actuelle. Comment ces changements ont-ils affecté ta production, et ont-ils eu un impact notable sur le résultat de ton travail ?

Le confinement est survenu juste au moment où je revenais du Royaume-Uni. Je devais me rendre à Copenhague pour une autre résidence axée sur les technologies liées au vêtement et à l’accessoire. Mais ça n’a pas eu lieu. Heureusement, j’ai pu me réfugier chez moi, à Toronto, où je dispose également d’un atelier de joaillerie entièrement équipé. J’avais prévu une plus grande utilisation du processus DMLM, mais ce n’était plus possible. Comme alternative, j’ai pu faire imprimer mes modèles en nylon, et c’est ainsi que j’ai fini par réaliser toutes ces broches colorées. Si le processus de conception a commencé avant la pandémie, certaines pièces témoignent des effets du nouveau coronavirus.

Je ne peux nier l’ironie de la situation : prendre une année sabbatique pour créer une nouvelle série d’œuvres basées sur les microbes et être frappé par une pandémie majeure. Il faut également savoir que mes premières œuvres ont été réalisées en réponse à une autre pandémie survenue de mon vivant, celle du sida. La pandémie de COVID-19 est une vague brutale qui nous frappe tous à des degrés très différents. Bien que cela n’ait pas été facile à vivre et que l’ampleur des décès soit dramatique, je me considère très chanceux et privilégié dans cette crise. Je suis un éternel optimiste et j’essaie de conserver cet état d’esprit chaque jour.

Gauche: CRISPR. Broche. Argent sterling (éléments imprimés et fabriqués à la main)
Droite: Microbes Yellow. Collier. Éléments en agent imprimés par frittage laser et fabriqués à la main, acrylique, nylon

 

Images:

Crédits photo – Paul Ambtman (photos de bijoux) et Paul McClure (images de Birmingham et documentation du processus)

 

 

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