Kim Paquet: Reconquérir la matière

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Kim Paquet est une artiste au parcours bien particulier. Ayant d’abord entamé une carrière en travail social pour ensuite se diriger vers la joaillerie, elle arrive maintenant à conjuguer ces deux aspects de sa vie dans une pratique artistique adressant des questions sociales telles que la marginalisation et la précarité. Diplômée de l’École de joaillerie de Montréal en 2017, Kim Paquet a approfondi son travail à NSCAD University, où elle a complété son baccalauréat au printemps 2020. L’ÉJM a invité Kim à recréer son exposition de finissante Misconceived dans son espace galerie, et pour l’occasion, elle nous parle de son parcours, de sa pratique et de ses diverses préoccupations en tant qu’artiste.

 

Tu es d’abord passée par l’École de joaillerie de Montréal avant de te diriger à NSCAD, où tu as complété ton baccalauréat en 2020. Qu’est-ce que cette nouvelle expérience d’études t’a apportée comme artiste?

Mon passage à NSCAD m’a aidé à découvrir le processus créatif qui colle à ma pratique et ma personnalité. Ayant reçu les bases techniques à l’ÉJM, l’université est devenue pour moi un endroit inspirant et stimulant pour sortir de ma zone de confort sur le plan personnel et artistique. La recherche de nouveaux matériaux, l’exploration de nouvelles techniques et le partage avec mes collègues de studio sont devenus un point central dans ma démarche. Avoir la possibilité d’ouvrir ma pratique à d’autres médiums et d’explorer brièvement le monde de la sculpture m’ont permis de découvrir de nouvelles méthodes de travail et différentes pistes de réflexion, en plus de stimuler de nouveaux questionnements sur mon interprétation du bijou.

À gauche: Overwhelmed, broche, 2019. Bonbonne de peinture en aérosol, acier inoxydable.
À droite: Excess Bagage, broche, 2019. Bonbonne de peinture en aérosol, ciment, peinture, vernis.

Ton bagage en travail social semble avoir un impact évident sur ta création, tant au niveau des thématiques exploitées qu’au niveau de ta façon particulière d’engager le public dans ton œuvre en la rendant démocratique et accessible – je pense particulièrement à tes activités avec le Phoenix Youth Shelter et les services d’immigration en Nouvelle-Écosse. Comment considères-tu la vocation sociale de ton travail d’artiste?

C’était la première fois pour moi à Halifax que mon expérience dans le domaine du bijou était mise à l’avant plan dans le domaine social. Je pourrais dire que tous les ateliers que j’ai donnés, autant avec les jeunes sans domicile fixe que les jeunes et familles impliquées dans le programme d’immigration (ISANS), m’ont énormément déstabilisée. Je pense que le terme ‘’vulnérabilité’’ est ce qui décrit le mieux mon expérience. Ce sentiment s’est transmis dans ma propre démarche, sans même que je ne m’en rende compte, et cela m’a permis de connecter davantage avec ma pratique. Des questions entourant l’identité était au centre de ces ateliers. L’art est pour moi une des façons les plus sincères et authentiques d’entrer en relation, surtout avec des personnes ayant des difficultés à s’intégrer dans une société bondée de standards. Ces contacts sincères, d’égal à égal, sans attentes et sans restriction, ont généré un climat de confiance propice à un apprentissage stimulant, autant pour leur développement personnel que pour le mien. Que ce soit à travers ces ateliers ou à travers mes créations, je considère qu’une partie de mon travail est d’ouvrir une porte à des discussions sur des sujets parfois tabous comme l’itinérance, la toxicomanie et la santé mentale.

Deadweight 1, broche, 2019. Bonbonne de peinture en aérosol ciment, encre, argent sterling, acier, vernis.
Vois-tu dans l’entretient de ce lien avec autrui une ouverture vers l’art relationnel?

J’ai longtemps considéré la joaillerie comme un outil exutoire à mon quotidien dans le domaine social, une façon de décrocher en créant du concret. Jusqu’à mon expérience à Halifax, je n’avais pas d’intention claire d’aller vers l’art relationnel, choisissant volontairement de bien séparer ces deux aspects de ma vie. Je pense que pour exercer n’importe quel métier en relation d’aide, il est vraiment important de bien se connaître et de bien comprendre son équilibre émotionnel. Et je réalise que pour moi, c’est le même processus dans le domaine artistique. En tout cas, mon approche artistique m’aide à trouver réponse a beaucoup de questions et à définir cet équilibre. Cela étant mieux assimilé aujourd’hui, je dirais que la pensée de me diriger vers l’art relationnel est maintenant une option plus réaliste à court ou moyen terme.

Au départ, comment t’es-tu retrouvée à faire le bond du travail social à la joaillerie?

Lorsque j’étais intervenante pour la DPJ dans un Centre Jeunesse, je me suis retournée vers la fabrication de bijoux artisanaux faits de matériaux récupérés. J’avais une fascination pour les pièces de métal provenant de ceintures, sac à mains, vieux bijoux de fantaisies et de pièces de quincaillerie. J’aimais donner de la valeur à ces vieux bouts de métal, parfois sans y faire grand-chose. Le simple processus de les transformer en bijou m’apportait beaucoup de satisfaction, même si le résultat était très artisanal. J’ai fait quelques petits marchés et festivals pour le plaisir d’être en contact avec les gens et de faire des ventes. J’aimais la connexion entre ma création et la personne qui la choisit. Je me souviendrai toujours du sentiment que j’ai eu la première fois où j’ai vu une personne inconnue dans un centre commercial, portant un de mes colliers. C’est comme si un déclic s’était fait à ce moment. Alors j’ai rencontré une conseillère en orientation et elle m’a parlé du programme collégial en joaillerie. Je ne connaissais absolument rien de ce monde et j’avais très peu de connaissances dans le domaine des arts en général. J’ai fait le grand saut sans savoir à quoi m’attendre et je n’ai jamais voulu revenir arrière une seule fois!

Badge of Honor, broche, 2019. Bonbonne de peinture en aérosol, acier inoxydable.

Dans la série d’œuvres que tu présentes en ce moment dans l’exposition Misconceived, à l’École de joaillerie de Montréal, on remarque l’usage récurrent de bonbonnes de peinture aérosol dans tes pièces. Peux-tu nous parler de ce choix d’objet particulier autour duquel tu as articulé cette collection?

À l’été 2019, j’ai fait des recherches dans le but d’explorer des endroits abandonnés en Nouvelle-Écosse. Je suis totalement tombée sous le charme du RCAF Beaver Bank Station. Ce bâtiment construit en 1953 était géré par l’unité Air Force des États-Unis. Dans le milieu des années 70, la base a été transformée en usine de béton, pour ensuite être abandonnée après seulement quelques années. Cet endroit chargé d’histoire est désormais une destination de rêve pour les graffeurs. Un endroit unique pour y laisser sa trace, mais aussi pour y découvrir les sombres recoins d’un vieux bâtiment en décomposition. J’ai été fascinée par l’abondance de bonbonnes de peinture en aérosol abandonnées, rouillées, décomposées sur le sol, aux côtés des œuvres sur les murs. J’en ai récolté une soixantaine. Le nombre et le fait qu’elles soient toutes uniques m’inspirait. J’ai voulu transformer ces objets oubliés et leur redonner leur utilité; celle de servir en tant que medium d’expression. Durant mes années à NSCAD, j’ai compris que dans ma pratique, le processus de création prend autant, sinon plus d’importance que le résultat final. Pour moi, déconstruire, déformer et découper ces objets pour les rendre portables était une façon de leur redonner leur valeur et leur identité, même si d’un point de vue extérieur, ça ne ressemble qu’à une pile de rouille.

 

         

En haut et à gauche: RCAF Beaver Bank Station
À droite: Espace de travail de Kim dans l’atelier de sculpture au Port Campus de NSCAD University

Comment abordes-tu le lien entre le street art et les populations marginalisées auxquelles tu fais référence?

Pour moi, le street art est un art éphémère. L’art de rue est là, que nous en soyons conscients ou non. Les murs de la ville sont décorés, colorés, remplis de messages… mais au rythme de notre routine, nous finissions par ne plus les remarquer. Et du jour au lendemain, ils s’effacent; nettoyés ou ensevelis sous un autre graffiti. Rien n’est permanent. Dans le cadre de mon travail auprès des itinérants toxicomanes à Montréal, j’ai réalisé que mes relations avec eux pouvaient être décrites de la même façon. Une journée elles pouvaient être solides, concrètes et remplies de sens alors que le lendemain elles expirent, un autre discours et tout doit être recommencé. Notre façon d’interpréter l’art de rue, que ce soit une œuvre professionnelle et organisée ou un simple message sur le coin d’une ruelle, peut facilement être comparée à notre façon de percevoir les populations marginalisées qui y habitent.

Y a-t-il des artistes ou des courants en particulier qui t’inspirent, tant au niveau esthétique que conceptuel?

Instinctivement lorsque je crée, je ne me retourne pas vers le travail d’artistes ou de courant particuliers… Possiblement par manque de connaissance. Mais pour la création de cette collection, j’ai eu envie de sortir de ma zone de confort et d’y aller avec une approche différente. J’ai été supervisée par Craig Leonard, un artiste interdisciplinaire et enseignant à NSCAD. Son approche et ses connaissances m’ont amené à me questionner sur la fonction du bijou et à faire des parallèles avec le monde de la sculpture. L’approche esthétique du sculpteur John Chamberlain ainsi que l’approche conceptuelle de Rachel Whiteread et Richard Serra ont pris une place importante, à un moment ou un autre, dans le processus de création de cette collection.

Exposition Misconceived à la Galerie Anna Leonowens, Halifax.

J’apprécie le travail de l’artiste relationnel français Yann Dumoget. Son concept de créer des graffitis dans des espaces publics et de demander aux visiteurs de graffiter sur ses propres œuvres m’interpelle particulièrement. J’aime beaucoup l’idée de considérer son propre travail comme étant inachevé et de laisser place à la performance naïve du public. La collection Misconceived a été exposée à la Galerie Anna Leonowens, à Halifax, dans le cadre de mon exposition de graduation. C’était important pour moi qu’à première vue, mes œuvres ne soient pas identifiées comme étant des bijoux, et que je suisse ainsi susciter un questionnement sur leur fonction, leur valeur et leur connexion avec le corps. Des objets en décomposition récoltés au même bâtiment abandonné se retrouvaient parmi mes œuvres. Les visiteurs étaient invités à toucher, déplacer et explorer les formes, le poids et les texture des pièces afin de découvrir leurs fonctions et, peut-être, bousculer leurs premières perceptions.

Tu as été sélectionnée afin de te joindre au groupe d’artistes en résidence au Harbourfront Centre, à Toronto. Quels sont tes projets en lien avec cette nouvelle expérience?

Je vois ma prochaine aventure à Toronto comme une opportunité de travailler sur l’aspect plus commercial de ma pratique. J’adore explorer le côté plus artistique du bijou contemporain et cela va nécessairement continuer à Toronto. En fait, j’aimerais trouver l’équilibre entre les deux. Je veux arriver à créer une image cohérente de mon identité en tant qu’artiste, mais aussi en tant qu’entrepreneure. Collaborer avec des designers de mode, photographes ou autres artistes et réseauter dans le monde artistique et entrepreneurial de Toronto serait extraordinaire! Vous savez, quand je parlais du sentiment ressenti lorsque j’ai aperçu quelqu’un au centre commercial avec une de mes créations… je pense que c’est de ça que j’ai envie en ce moment! J’ai aussi quelques noms d’organisations que je souhaite contacter pour évaluer la possibilité d’organiser des ateliers avec des adolescents et jeunes adultes de milieu défavorisés. Je suis quelqu’un qui aime les défis et qui saute sur les opportunités alors… à suivre!

Defective Band-Aid no. 1 et 4, broches, 2019. Bonbonnes de peinture en aérosol, acier inoxydable, polystyrène, béton, résine, argent sterling, morganite, diamant brut.

 

L’exposition Misconceived est présentée dans l’espace galerie de l’ÉJM du 24 août au 9 octobre 2020

 

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