Voici la deuxième partie d’une entrevue réalisée avec l’horloger et joaillier Francesc Peich, à l’occasion de son exposition La joaillerie du temps: De l’horlogerie classique à la joaillerie contemporaine, présentée au Musée des maîtres et artisans du Québec. Francesc nous parle du développement de sa carrière depuis son arrivée au Québec, et de la façon dont il a lentement migré de l’horlogerie vers la joaillerie, jusqu’à réconcilier les deux dans un pratique qui lui est unique.
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Vois-tu le passage vers la joaillerie comme étant un passage obligé pour un horloger de formation comme toi?
Mon père disait que le bon horloger n’est pas bon joaillier. Et moi, je n’étais pas d’accord avec lui! Quand je suis venu ici, j’avais 26 ans, et je faisais déjà de l’horlogerie depuis longtemps. En arrivant ici, je me suis demandé ce que j’avais envie de faire dans cette nouvelle vie, et j’ai tout de suite pensé à faire des bijoux. J’avais déjà certains outils qui ressemblaient aux outils de joaillerie, comme des limes et des petites scies, par exemple. Je me suis donc mis à faire des bijoux et à les vendre sur la rue. J’ai appris le métier petit à petit, en regardant les autres, en lisant des livres et en posant des questions.
Quand je suis arrivé au Québec, les joailliers étaient tous des garçons. Et les garçons, à cette époque, ils ne racontaient rien! Dès qu’ils découvraient une technique eux-mêmes, parce qu’il y avait beaucoup d’autodidactes, ils refusaient de la partager avec les autres. Malgré tout j’ai réussi à apprendre d’eux, parfois en insistant. Quand je suis venu à l’école, j’ai vu une belle occasion de faire tout le contraire. Quand je connais quelque chose, j’ai envie de le partager. De toute façon, si j’explique comment faire une texture, ce n’est pas tout d’écouter, il faut ensuite exécuter.
Je trouve que le milieu de la joaillerie a beaucoup changé au Québec depuis 25, 30 ans. Maintenant, il y a beaucoup plus de femmes joaillières, ce qui était très rare à l’époque. Je suis moi-même avec une femme qui a toujours travaillé, et c’est grâce à elle qu’on avait toujours du pain et du beurre sur la table. Grâce à elle, j’ai pu faire de la recherche, expérimenter et travailler sans faire beaucoup de revenus.
Comment s’est donc développée ta carrière d’artisan professionnel?
J’ai fait le salon One Of A Kind à Toronto, le Salon des métiers d’art de Montréal… Et j’ai fait toutes sortes de petites expositions. Mais côté profit, c’était toujours juste. Puis Sylvie, ma compagne, m’a parlé d’un horloger pas loin de chez nous. Je suis allé le voir, et il m’a d’abord demandé ce que je savais faire. J’ai dit que je pensais être assez bon pour réparer un peu n’importe quoi. Il ne me croyait pas vraiment, mais il m’a mis en essai une semaine, et il m’a engagé. Il m’a offert de travailler trois jours par semaine.
Parce qu’au Québec il n’y a pas beaucoup d’horlogers, non?
Il n’y en a pas beaucoup, non. Surtout maintenant, il n’y en a plus du tout. Maintenant, je suis le seul. Les programmes dans le cadre scolaire ne permettent pas apprendre l’horlogerie dans des délais aussi courts. Tu peux apprendre certaines choses de l’horlogerie, savoir démonter une montre disons, mais la fabrication des pièces, tu n’apprends pas ça. Ça prend beaucoup plus d’heures. Je n’ai même pas appris ça à l’école, j’ai appris ça un peu en Suisse, et un peu avec mon père. Il était horloger, et mon grand-père aussi.
Alors une fois que j’ai été engagé chez l’horloger, ça m’a assuré un petit revenu. Je passais trois jours à travailler pour lui, et j’avais deux jours pour moi dans la semaine, donc je continuais à faire des expositions. C’est là que j’ai commencé à faire des montres, et j’en ai fait une assez grosse production. Des montres en plastique, en acier, en laiton plaqué. Avec des cadrans en titane, en keum-boo. J’essayais toutes sortes de choses. Je les ai vendues à Toronto pendant quelques années, puis je suis éventuellement entré à L’Empreinte, la coopérative de métiers d’art dans le Vieux Montréal. J’ai passé vingt ans dans cette coopérative, ou j’ai vendu plusieurs pièces, jusqu’à ce que je me fasse voler 125 montres dans la boutique. On n’avait pas d’assurances. À partir de ce moment-là, j’ai décidé que toutes les montres que je ferais à l’avenir seraient seulement des pièces uniques, sur commande, ou comme pièces de recherche. Cet événement a provoqué un tournant dans ma pratique. C’est ce qui m’a amené vers la pièce unique, ce que je continue à faire encore aujourd’hui. J’ai quitté L’Empreinte quelques années plus tard, lorsque que l’École de joaillerie m’a approché pour enseigner. Je ne pouvais pas tout faire! En parallèle, j’ai continué encore à réparer des horloges et des montres, et ça m’amène vraiment toutes sortes de clients différents. Les gens apportent quelque chose à réparer, puis ils apportent en même temps une bague à souder ou à modifier. J’arrive maintenant à en vivre. J’ai maintenant mon atelier à la maison, et les gens viennent chez moi. J’en vis très bien, tellement que ma conjointe n’a plus besoin de travailler! C’est chacun son tour!
L’exposition de Francesc Peich se poursuit jusqu’au 28 avril prochain, au Musée des maîtres et artisans du Québec.
Vous pouvez visionner une vidéo sur Francesc Peich, réalisée par Anick St-Louis à l’occasion de l’exposition, en cliquant ici.
Crédits photo:
Vue de l’exposition: Gaëtan Berthiaume
Autres images fournies par l’artiste