Depuis 2015, soit la fin de ses études à l’École de joaillerie de Montréal, Mathilde Tétreault souhaitait voyager en Amérique tout en continuant de produire des pièces de joaillerie. Dès lors, l’idée de transformer un camion en atelier ambulant s’est imposée dans sa tête. Après les multiples modifications apportées à son véhicule, Mathilde a parcouru le Canada et les États-Unis avec son camion et son atelier sur mesure, puis le Mexique en sac à dos, afin de vivre son rêve. En mai dernier, nous l’avons contactée pour qu’elle nous raconte ses aventures. Petite mise en garde : la lecture de cet article peut engendrer un désir irrémédiable de voyager sur-le-champ.
Comment s’est passé ton parcours depuis ta diplomation en joaillerie en 2015?
L’année qui a suivie ma remise de diplôme en technique de joaillerie a surtout été synonyme de travail, de recherche et de préparation à l’achat du camion pour mon projet d’atelier ambulant. Après me l’être procuré en hiver 2016, j’ai commencé sa transformation. J’ai dû dénuder l’intérieur jusqu’au métal pour me débarrasser de la rouille et de la moisissure et puis je l’ai complètement retapé! Isolant, plancher, murs, système électrique… J’avais des besoins très spécifiques alors j’ai tout construit moi-même ou avec l’aide d’amis. C’est tellement du sur-mesure que même la hauteur de chaque tiroir de mon banc de joaillerie a été calculée pour que des outils spécifiques y entrent!
Finalement après plusieurs mois de travail, je suis partie sur la route. S’en est suivi une traversée du Canada et la participation à plusieurs festivals en Colombie-Britannique pour y vendre mes bijoux. J’ai ensuite voyagé de manière étendue en Oregon, en Californie et en Arizona. J’ai aussi récemment passé plus d’un mois et demi au Mexique.
Lors de tous mes déplacements, mon objectif reste le bijou ou le travail du métal. J’ai donc pris l’opportunité de visiter plusieurs artistes ou galeries liées au bijou et j’ai visité différents fournisseurs et quartiers de la joaillerie à Vancouver, à San Francisco, à Los Angeles et dans la ville de Mexico. J’ai aussi suivi plusieurs cours de forge en Californie au Trinity County Historical Society’s Jake Jackson Blacksmith Shop.
Qu’est-ce qui t’a incitée à prendre la route avec ta van transformée en domicile-atelier ambulant?
Je ne me rappelle pas exactement quand l’idée m’est venue en tête au départ ou bien si un évènement particulier l’a déclenchée, mais ce qui est certain c’est que ça fait au moins six ans que cette idée me trotte en tête. J’ai toujours aimé voyager et je me suis toujours arrangée pour pouvoir voyager tout en subsistant à mes besoins. J’ai souvent eu des emplois saisonniers qui m’amenaient ailleurs et je n’avais pas du tout envie que ça arrête. Je soupçonne aussi l’influence de certains souvenirs d’enfance, comme la jolie petite caravane que des amis avaient stationnée dans notre cour arrière lorsque j’étais petite, où j’allais souvent jouer et rêver de voyage!
Ensuite, habiter et étudier à Montréal quelques années est venu confirmer ma décision. J’adore mon métier, mais je ne me sentais pas prête à m’installer à long terme dans un endroit et à commencer ma carrière. L’idée d’être attachée à long terme à un lieu est, pour l’instant, quelque chose d’angoissant pour moi… J’ai faim de découvertes et de rencontres éloignées de ce que je connais déjà. J’ai un désir insatiable d’apprentissage et j’apprends le mieux par l’expérience et la rencontre. C’est pourquoi je démarre mon entreprise sur la route!
Dans un autre ordre d’idées, as-tu baptisé ta van?
Oui! Je l’ai baptisée la Matmobile… comme la Batmobile du superhéros Batman. C’est un peu une blague, mais j’imagine que l’on peut un faire un parallèle considérant que c’est mon super véhicule adapté à tous mes besoins et qui me permet d’accomplir toutes mes activités!
Quels sont les défis auxquels tu dois faire face dans la production de tes bijoux?
Je crois que le principal défi est de trouver un endroit commode où je peux m’installer un certain moment pour travailler. La plupart du temps, j’essaie de planifier mes déplacements pour rester à un endroit où je vais pouvoir bien m’installer pour travailler quelque temps, mais parfois il y a de longues périodes de temps où je suis sur la route ou en ville et où je ne peux pas vraiment m’installer. J’ai souvent besoin d’électricité pour travailler et comme je n’ai pas encore de système d’énergie solaire, il serait un peu incongru de sortir ma génératrice en plein centre-ville! Installer mon atelier peut aussi être assez chronophage; je dois préalablement ranger le camion, puis je dois sortir la génératrice, la démarrer, brancher les rallonges électriques, sortir ma torche, détacher le banc qui se mettrait à rouler si je ne l’attachais pas, sortir mes outils, mon métal…! Bref ça se ressemble un peu à ranger son banc lorsqu’on est en projet final en troisième année de la technique de joaillerie!
Est-ce que tu as dû modifier certaines habitudes ou façons de faire ta production?
Oui, certainement! Considérant que la majorité du temps je suis très éloignée d’une métropole, je n’ai pas accès aux fournisseurs d’outils ou de matériel de joaillerie, donc je dois apprendre à faire avec ce que j’ai. Comme je n’ai qu’une quantité limitée d’outils, je dois souvent trouver des manières créatives de les utiliser pour arriver au résultat que je veux; j’invente des solutions ou bien j’évite certaines choses. Par exemple, je n’ai pas de polisseuse, alors j’évite les polis miroirs! Et puis je ne peux pas faire de coulée à la cire perdue, alors je travaille principalement la construction et l’assemblage ou bien je termine des pièces que j’avais coulées avant mon départ.
Est-ce que ton voyage influence ton processus créatif? Si oui, comment?
Absolument. Voyager m’inspire constamment. Je suis principalement inspirée par les différents paysages, par les plantes, les personnages que je rencontre et les cultures dans lesquelles je baigne. Je crois que voyager me permet d’étendre ma banque d’idées et mon langage artistique.
Comme je dois constamment m’adapter au lieu où je suis, mon langage artistique s’adapte également. Je travaille en concordance avec l’endroit où je me trouve en introduisant des éléments qui lui sont propres. Par exemple, j’ai commencé une production de pièces avec des cartouches de balles trouvées dans le désert au sud de la Californie et puis j’ai adapté mon travail lors de mon séjour au Mexique en explorant des techniques de fabrication de chaîne utilisées là-bas. J’aime travailler avec ces éléments parce que ça me permet de créer une connexion plus intime avec un lieu et d’ensuite partager une histoire avec la personne qui se procure la pièce.
Est-ce que le design de tes créations est différent?
Vu que c’est assez compliqué pour moi d’avoir facilement ou rapidement accès à des fournisseurs de matériel, je dois m’arranger avec le métal que j’ai en main pour compléter mes productions et mes commandes spéciales. Plutôt que de designer une pièce et d’ensuite fabriquer ou acheter le métal nécessaire, le design de mes pièces est basé sur le matériel que j’ai en mains. Ça peut être légèrement incommodant, mais je le vois plutôt comme une bonne occasion de pratiquer ma débrouillardise et mon inventivité!
Est-ce que tu as intégré de nouvelles matières (pierres, métaux, médiums) dans tes dernières créations?
Oui! J’ai eu de multiples occasions d’expérimenter avec de nouveaux matériaux cet hiver lors de mon séjour dans la communauté artistique de East Jesus dans le désert du sud de la Californie. Là-bas tout est construit à partir de matériaux récupérés, des espaces de vies aux sculptures peuplant le musée extérieur. J’ai alors profité de ma résidence artistique là-bas pour transformer des déchets en bijoux contemporains… J’ai entre autres exploré avec du vieux tissu, du métal rouillé, du plastique et des morceaux d’aluminium venant d’une vieille toiture. Ces pièces sont maintenant exposées dans la section du musée extérieur de East Jesus où les touristes peuvent les essayer.
J’ai aussi fabriqué plusieurs bijoux éphémères avec les plantes des régions où je me trouve. J’ai fabriqué un collier à partir d’os de cactus en Arizona, puis un collier fait avec des semences et des morceaux de bois trouvés sur la côte Pacifique au Mexique et je travaille présentement avec des mousses et des fleurs sauvages des montagnes où je suis présentement.
Depuis le début de ton périple, est-ce que tu as fait des rencontres mémorables? Lesquelles?
J’ai fait tellement de rencontres mémorables! Honnêtement, je pense que les rencontres faites durant ce voyage en sont l’élément le plus enrichissant. Chaque personne que je rencontre m’apprend quelque chose de nouveau et à chaque fois je me sens privilégiée de pouvoir entrer dans la vie de quelqu’un qui était auparavant totalement inconnu. J’ai maintenant une belle communauté disparate d’amies et d’amis tout le long de la côte ouest canadienne et américaine et aussi un début de réseau au Mexique.
Un de mes projets lors de mon voyage est aussi d’interviewer des artistes du métal, qu’ils soient forgerons, joailliers ou sculpteurs, à propos de leur parcours et leur métier. Ces interviews ont définitivement été parmi les plus belles rencontres de mon voyage et les plus inspirantes. Elles me permettent de voir l’immensité des possibilités de créations et de réaliser à quel point beaucoup d’artistes se débrouillent avec peu pour créer des choses magnifiques.
Quelle est ta prochaine destination et quand te reverrons-nous à Montréal?
Présentement je suis dans les montagnes dans le nord de la Californie et je vais bientôt prendre la route vers la Colombie-Britannique pour y laisser mon camion . De là je prendrai un avion pour le Québec et je compte passer quelques semaines à Montréal. Je dois ensuite retourner dans l’Ouest canadien pour vendre mes bijoux dans plusieurs festivals de musique folk et électronique. J’ai très hâte! Pour l’automne, j’ai plusieurs idées de projets et destinations, mais rien de certain encore… à suivre!
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