Madeleine Dansereau: Joaillière, orfèvre et cofondatrice de l’École de joaillerie de Montréal

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Prédisposée à la vie d’artiste

Madeleine Dansereau est née en 1922 à Montréal. Peut-être tient-elle de sa mère son goût insatiable d’apprendre et de son père, dentiste et inventeur d’outils et de systèmes de toutes sortes en dentisterie, son génie créateur et sa grande habileté manuelle. Peut-être a-t-elle hérité, dès sa naissance, d’un patrimoine génétique la prédisposant à la vie d’artiste. Possible.

 

Enfant, Madeleine Dansereau arrive si souvent en retard à l’école que la direction doit aviser. Sa mère inquiète la suit. Sa surprise est complète quand elle découvre que la fascination que porte sa fille aux formes, aux textures et aux couleurs qui longent sa route, lui fait oublier le temps. Madeleine s’arrête de longs moments, ici et là, et observe branches, bourgeons, cailloux et décorations de vitrines avec admiration. Cette enfant, sensible et émerveillée, semble déjà avoir fait de la création son mode de vie.

Madeleine Dansereau s’intéresse à la peinture. Entre 1938 et 1940, elle étudie à l’École des beaux-arts de Montréal avec Arthur Lismer et Jacques de Tonnancourt. Mais, c’est la guerre et la vie est dure pour tout le monde. L’art est le luxe d’un autre temps. Elle devient épouse et maman et, pendant vingt ans, elle consacre ses énergies à sa famille. En 1958, elle revient aux arts. Elle est guide au Musée des beaux-arts de Montréal et étudie la joaillerie avec Philippe Vauthier pendant quatre années. Elle est apprentie auprès de cet artiste suisse réputé — que le joaillier Armand Brochard nommera avec un brin d’admiration «le bricoleur de génie» — et s’investit auprès du Musée des beaux-arts de Montréal en tant que coprésidente du Comité des bénévoles. En 1971, elle enseigne la joaillerie à la Guilde canadienne des métiers d’art de Montréal, mais deux ans plus tard, son engagement est interrompu suite à un changement de mission de l’association.

Madeleine Dansereau

Cofondatrice de l’École de joaillerie et de métaux d’art de Montréal et artiste reconnue

En 1973, Madeleine Dansereau approche Armand Brochard et l’invite à partager un atelier. Il devra être assez spacieux pour poursuivre avec ses étudiants ses cours de joaillerie. Ils installent l’Atelier de joaillerie rue St-Vincent, dans le Vieux Montréal. Le succès est au rendez-vous. Moins de deux ans après, ils emménagent dans un plus grand local et décident de préciser leur structure d’enseignement. Madeleine Dansereau est comblée. Enseigner stimule sa carrière d’artiste en joaillerie et ses recherches sur le travail du métal nourrissent son enseignement. Au cours des années qui suivent, elle accumule prix et reconnaissances. En 1974 et en 1976, «Artisanat 74» et «Visages du Canada» lui décernent le Prix du Mérite. Entre 1977 et 1990, elle expose à New York, Los Angeles, Montréal et Toronto. En 1981, elle crée le trophée «Grand Montréalais», remis entre autres à Charles Dutoit et Charles Bronfman. En 1985, elle réalise les médailles de l’Ordre national du Québec. Artiste reconnue, elle est invitée entre 1974 et 1990 à participer à de nombreux jurys, comités et commissions. En mai 1987, madame Lise Bacon, alors ministre des Affaires culturelles, mandate sept artistes, dont Madeleine Dansereau, pour réfléchir sur les propositions d’un projet de loi sur la reconnaissance du statut de l’artiste.

Sans titre, date inconnue, boucles d'oreilles, argent sterling, or 18 ct, collection Stéphanie DansereauSa passion pour le travail du métal et sa soif d’apprendre sont sans fin. Elle participe à plusieurs stages et ateliers aux États-Unis et en Italie. Elle étudie avec James Malenda, à la Penland School of Crafts, la mise en forme du métal et l’émaillage. Elle découvre la ciselure et le métal repoussé auprès de Lois Betteridge. Elle voue une affection particulière à la technique japonaise ancestrale du Mokume-gane qu’elle explore en 1980, à l’Université du Michigan, grâce à une bourse du ministère des Affaires culturelles. Une seconde bourse, en 1984, lui permet de perfectionner ses connaissances en électroformage et en photogravure auprès de Stanley Lechtzin et de Linda Threadgill. Cette même année, elle complète sa réflexion sur la joaillerie et l’art, et obtient son diplôme de maîtrise en arts plastiques à l’Université du Québec à Montréal.

 

À la défense de la joaillerie en tant qu’art

Madeleine Dansereau considère le métal comme un matériau vivant. Elle s’émerveille de le voir s’étendre, se rétracter et se cambrer sous une manipulation sûre et patiente. Et Madeleine Dansereau s’émerveille tout autant des humains. Elle les voit créateurs, sensibles, conscients et préoccupés par le sens de leur existence. Pour ces raisons, elle considère le bijou intimement lié à la vie humaine. Son intérêt n’est pas au bijou commercial, mais plutôt au bijou qu’elle dit «porteur de signe ».  Ce bijou, au-delà de l’objet décoratif, elle le voit témoin d’un créateur, d’une époque et d’un lieu. Il résulte d’une recherche intellectuelle, formelle et technique et surtout, il porte un sens. À ses yeux, le bijou est oeuvre d’art.

Elle croit plus que quiconque en la nécessité d’institutionnaliser la formation en joaillerie et pourtant, suite au dépôt en 1984 du «Plan national de formation en métiers d’art», elle trouve le courage de manifester ses réserves au ministre des Affaires culturelles. Elle reproche à ce plan de formation d’encourager un enseignement qui satisfasse les besoins des industries culturelles au détriment de la réflexion et de la recherche artistique. Elle voit dans ce plan une union forcée entre métiers d’art et exigences commerciales. Elle y aurait préféré une proposition d’enseignement axée sur la réflexion, la compréhension et la conscience, et qui aurait mené à un programme universitaire en art, comme il en existe dans certaines universités canadiennes et américaines.

 

Passion décuplée, temps compté

Nous allons tous mourir et cette idée est en soi traumatisante, disait Madeleine Dansereau. Seule la passion, la passion des êtres, de l’art et du travail, nous permet d’oublier cette idée. À la fin des années 1960, l’annonce d’un diagnostic de cancer la confronte à ses convictions. Devant la maladie, elle choisit de décupler la passion et de vivre intensément pour le temps que la vie lui offrira. En vingt-cinq ans, elle aura accompli ce que peu réalisent dans une vie.

En 1988, une récidive de cancer est annoncée. Le travail du métal devient alors trop exigeant pour ses forces qui s’amenuisent. Elle sent son corps vulnérable et son état l’amène à penser au plumage des oiseaux, aux écailles des poissons, aux carapaces des invertébrés, à toutes ces matières naturelles qui s’organisent pour protéger la vie. Elle juxtapose à cette réflexion une recherche sur la mythologie grecque et mésopotamienne, et s’investit dans un projet de création de «parures» en papier. Elle préfère le terme «parure» à «bijou» qui sous-tend l’idée de protection, de presqu’armure, qu’elle tient à insuffler à son travail.

 

 

Le 20 mars 1991, Madeleine Dansereau s’éteint. En sa mémoire, la Ville de Montréal donne le nom «Madeleine-Dansereau» à une rue du quartier Rosemont-La Petite-Patrie, et la Société de développement des entreprises culturelles(SODEC) crée, en 2001, le Prix Madeleine-Dansereau. Plusieurs la considèrent aujourd’hui comme la première femme joaillière au Québec.

Madeleine Dansereau

Légende des photos :

  1. Sans titre, date inconnue, broche, argent sterling, or 18 ct, collection Stéphanie Dansereau
  2. Sans titre, date inconnue, broche, argent sterling, or 18 ct, diamants, collection de l’École de joaillerie de Montréal
  3. Icthos, 1990, sculpture, laiton, feuille d’or, collection Mireille Dansereau
  4. Sans titre, date inconnue, boucles d’oreilles, argent sterling, or 18 ct, collection Stéphanie Dansereau
  5. Déesse cycladique, 1977, pendentif, argent sterling, collection Stéphanie Dansereau
  6. Insigne de chevalier de l’Ordre national du Québec, conçue en 1985, argent sterling, or 18 ct, remis en 2013 à Louise Lemieux-Bérubé
  7. Collaboration avec Janis Kerman, Sans titre, 1988, collier, papier fait main, laiton, niobium, collection Janis Kerman
  8. Artémis, 1990, parure, papier fait main, fibre, teinture, collection du Musée des maîtres et artisans du Québec
  9. Sans titre, 1990, parure, papier fait main, fibre, teinture, collection du Musée des maîtres et artisans du Québec
  10. Dou Wan, 1988, parure, papier fait main, peinture à l’eau, collection Mireille Dansereau

 

Texte et recherche : Lyne Gagnon

Crédits photo : Anthony McLean

 

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