Catherine Granche et Marie-Eve G. Castonguay, toutes deux joaillières, ont entamé il y a près de deux ans un projet collaboratif qui s’est soldé en l’exposition Paysage de l’intime. En tournée depuis janvier 2020, l’exposition dont elles sont non seulement les commissaires, mais qui présente aussi leur travail respectif, ouvre ses portes dès le 6 novembre à la Galerie Noel Guyomarc’h. Nous leur avons posé quelques questions sur l’exposition et sur leur travail de commissaires.
Paysage de l’intime réunit le travail de huit artistes établies aux quatre coins du Canada : Bridget Catchpole (C-B), Marie-Eve G. Castonguay (QC), Catherine Granche (QC), Clarissa Long (C-B), K. Claire MacDonald (N-É), Pamela Ritchie (N-É), Catherine Sheedy (QC) et Kye-Yeon Son (N-É). Cette exposition explore le rapport au paysage et à la nature. Source d’inspiration, le paysage amène l’artiste à des questions de provenance, d’impacts environnementaux et de rapports de force entre l’humain et la nature. Lorsqu’il est matière à transformer, le paysage et ses éléments deviennent des matières brutes, utilisées en tant que médium d’expression.
Comment est née l’idée de cette collaboration?
Marie-Eve: D’abord il faut mentionner qu’on ne se connaissait pas vraiment avant de s’embarquer dans ce projet, ou du moins pas personnellement.
Catherine: On admirait le travail l’une de l’autre. Et j’admirais aussi l’implication de Marie-Eve dans le milieu de la joaillerie. Au départ, on avait envie de faire quelque chose ensemble et de partager des idées, parce qu’on partage un même intérêt dans notre démarche pour la nature, l’organisation des jardins et du paysage. Tout ça a commencé alors qu’on discutait du fait que plusieurs artistes peuvent travailler sur un même thème tout en obtenant des résultats complètement différents, que ce soit au niveau esthétique, du choix des matériaux ou du langage.
Marie-Eve: Sans toutefois que l’exposition ne soit construite autour de notre travail, il demeure que nos œuvres étaient un point de départ pour développer l’univers de l’exposition. Non seulement Catherine et moi exploitons les concepts de la nature, du jardin et de la récolte de façon différente formellement et visuellement, mais on les traite aussi différemment sur le plan conceptuel. À partir d’un même point de départ, il y a une panoplie de façons de s’approprier un même sujet qui sont propres à notre individualité en tant qu’artiste et en tant qu’être qui évolue au sein d’un environnement donné.
À gauche: Catherine Granche, Nature déhiscente, cerises 1, 2019-2020. Faïence, argent sterling oxydé
À droite: Marie-Eve G. Castonguay. Jardin no. 16, 2018. Argent sterling, papier, bois, pigments.
Est-ce votre première expérience de commissariat?
Catherine: Dans mon cas, oui. Et j’espère vivement poursuivre cette avenue dans mon travail d’artiste.
Marie-Eve: Pour ma part, oui et non! J’avais déjà mis sur pied plusieurs projets de diffusion artistique, mais jamais en tant que commissaire à part entière. Pour moi, dans un projet de commissariat, l’exposition devient une œuvre en elle-même, et le travail de chaque artiste constitue une matière à utiliser pour composer cette œuvre. Cette approche m’intéressait beaucoup et c’est une avenue que je n’avais pas encore eu l’occasion d’explorer. Avec ce projet, j’ai trouvé intéressant le fait de pouvoir développer une voix en tant que commissaire.
Comment avez-vous décidé du thème de l’exposition?
Catherine: Ça s’est fait au fil des discussions. La nature, l’environnement, le paysage et le jardin faisaient déjà partie intégrante de notre démarche, et l’aboutissement au thème du rapport au paysage s’est fait de façon naturelle. Les choses se sont liées, imbriquées et construites au fil de la sélection des artistes et des œuvres. Le tout s’est développé de façon organique et holistique.
À gauche: K. Claire MacDonald. Looking Out, Then and Now, 2019. Cuivre, laiton, peinture, bois.
Quelles étaient vos intentions dans la réalisation de ce projet?
Marie-Eve: Personnellement, il y a quelque chose qui me tient énormément à cœur dans le fait de diffuser le travail des autres artistes, et de façon plus générale, de diffuser le bijou contemporain au Canada. Il faut stimuler le milieu. S’il ne se passe rien, les gens ont envie de ne rien faire. Mais de fil en aiguille, plus on initie de projets et d’événements comme celui-là, plus les gens ont envie de s’investir dans le milieu du bijou contemporain et de démarrer d’autres projets à leur tour. C’est une roue qui tourne, et il faut parfois lui donner un petit coup de pied!
Catherine: Il n’y aura jamais trop d’expositions, peu importe qu’elles présentent un grand nombre d’artistes sous une thématique générale, ou bien qu’elles soient conçues selon une thématique précise avec une sélection d’artistes réduite. Il y a de la place pour tout, et c’est particulièrement important de garder le milieu dynamique, surtout en ce moment.
Quels ont été vos critères pour sélectionner les artistes?
Marie-Eve: On cherchait particulièrement des artistes dont le travail s’articule autour de la nature et du paysage. On a aussi tenté de mettre en dialogue une diversité de propos.
Catherine: On reconnaît une sensibilité qui nous est familière chez ces artistes – sensibilité au paysage, à la récolte, à la conservation, à la capture du temps, des impressions, des organisations spatiales liées à la nature. Les artistes qu’on a choisies, tout en travaillant sous le thème de la nature, emploient des langages et des esthétiques complètement différentes des nôtres.
À gauche: Bridget Catchpole. A Burrow of Pearls, 2019. Argent sterling, placage d’or 24K, acier inoxydable, perles de culture d’eau douce, fil à pêche, résine.
À groite: Clarissa Long. Valley, 2018. Polystyrène, tilleul, acier.
Pourquoi avoir fait le choix de vous inclure dans cette sélection?
Marie-Eve: Tel que mentionné précédemment, notre propre travail constituait le point de départ de notre recherche. Ça aurait pu se traduire en une exposition duo, mais ce qui nous intéressait particulièrement était la diversité des approches pour traiter d’un même thème. Je crois qu’il est important de considérer une pluralité d’approches du commissariat, et le fait que des commissaires invitent d’autres artistes à exposer leurs oeuvres aux côtés des leurs est peut-être plus fréquent en métiers d’art qu’en arts visuels. Mais ces démarches différentes sont toutes aussi valides, et dans ce cas-ci le projet d’exposition émane de notre travail et de notre démarche, donc il allait de soi que notre travail soit inclus dans l’exposition au même titre que celui d’autres artistes.
Qu’allez-vous retenir de cette expérience, et quels ont été les défis rencontrés?
Marie-Eve: Ce fut énormément de travail, mais ce n’était pas une surprise! Une chose qui m’a un peu choquée est de réaliser la difficulté à financer ce type de projet. À la base, il n’existe pas vraiment d’opportunités d’expositions comme celle-ci en métiers d’art sur le plan institutionnel. Il faut donc que ces projets émergent de la communauté artistique elle-même, mais quand ces projets sont l’initiative d’artistes, ils ne sont pas éligibles auprès des organismes subventionnaires. Tout le poids demeure donc sur les épaules de la communauté artistique. Nous avons été choyées de pouvoir compter sur le support de l’École de joaillerie de Montréal et des galeries avec qui nous avons travaillé pour nous accompagner dans tout ça malgré l’absence de support des organismes gouvernementaux.
Catherine: Pour ce qui est de la réception des artistes et des galeristes qui ont présenté l’exposition, elle a été absolument formidable. Tout le monde a accepté l’invitation avec enthousiasme et l’aide et l’encouragement reçu nous a prouvé qu’il y avait de la place dans notre milieu pour ce genre d’initiative.
Marie-Eve: Ce fut effectivement une belle marque de confiance de la part des artistes et des galeries. Il y a quelque chose d’extrêmement gratifiant dans le fait de réaliser des projets comme celui-ci, et de voir que des artistes te font confiance non seulement sur le plan organisationnel, mais qui font aussi confiance à ta vision.
Catherine: En plus des expositions, la création du catalogue a été déterminante et on est fières de pouvoir laisser une trace pérenne de ce projet!
L’exposition Paysage de l’intime est présentée du 6 au 28 novembre 2020 à la Galerie Noel Guyomarc’h
Vernissage les vendredi 6 novembre, de 16h à 20h et samedi 7 novembre de 13h à 17h
Sur réservation – info@galerienoelguyomarch.com
Du mardi au samedi de 11h à 17h ou sur rendez-vous