Pèlerinages artistiques: Sonia Beauchesne en résidence

Blogue, Nouvelles

Artiste bien établie dans le domaine de la joaillerie et maintenant du bijou contemporain, Sonia Beauchesne a su trouver toutes sortes d’occasions de voyager avec son art depuis sa sortie de l’École de joaillerie de Québec en 1999. D’abord à travers des stages en Belgique et au Brésil, puis comme formatrice au Niger, elle a laissé sa pratique s’imprégner des paysages et des cultures auxquelles elle a été confrontée. Ayant délaissé la production en série et les salons de métiers d’art autour de 2011, Sonia oriente maintenant sa pratique autour de la pièce d’expression. Son travail exprime, de façon tangible ou métaphorique, la notion d’impermanence de la nature et des choses, en employant des matériaux comme le sel ou le bois. Fascinée par leur friabilité et leur capacité de se régénérer, elle soumet ces matériaux à toutes sortes d’expérimentations au cours desquelles elle pousse les limites de la matière.

Depuis quelques années, la pratique de Sonia s’articule autour de diverses résidences artistiques, ce qui lui permet de mettre l’accent sur le processus, qui est pour elle souvent plus important que le résultat final. Elle a accepté de nous parler de ses expériences d’artiste en résidence, mais aussi de la façon dont sa carrière se façonne autour de ces divers projets.


Après avoir passé plusieurs années à te concentrer sur la production et les salons, comment s’est déroulée la redirection de pratique vers le bijou d’art?

(2) Bague sans titre, 2018. Basalte, cuivre, sel.

Je ne m’épanouissais plus à faire de la production, et l’apport monétaire ne suffisait plus à me satisfaire non plus. Je créais des bijoux d’expression durant ces années de salons, mais je me restreignais à une pièce par  année,  et souvent le bijou était créé pour un  concours, et les matériaux restaient souvent traditionnels.  Je n’avais pas réussi à développer une démarche artistique qui m’était propre dans mes œuvres de recherche.  J’avais également envie d’avoir moins de contraintes (poids, dimensions, matériaux, accessibilité, etc.). J’ai tranquillement bifurqué vers des pièces de recherches plus osées en utilisant différents matériaux, et j’ai aussi commencé à m’intéresser à des matières éphémères comme le sel.  J’ai tassé tout le côté rationnel qui me brimait.

 

Au cours des quelques dernières années, tu as réalisé quelques résidences d’artiste – à l’École de joaillerie de Québec avec le collectif Filière 11, à la Casa Tagumerche (Îles Canaries, Espagne), Airgentum (Séville, Espagne) et AdMare (Îles de la Madeleine). Crois-tu que le fait de réaliser des projets de résidences comme tu le fais a eu un impact sur le type de travail que tu fais aujourd’hui?  

Évidemment. Grâce aux résidences, j’ai pu me concentrer pour explorer, car dans la vie quotidienne, c’est très difficile de prendre sporadiquement du temps d’atelier pour faire des essais. En résidence, nous avons du temps pour nous concentrer sur nos recherches. Paradoxalement, nous avons souvent un objectif à accomplir, soit de faire une exposition de nos pièces de recherche (c’était le cas pour Fillière 11, Airgentum et AdMare).  Donc, on crée tout de même avec une certaine urgence. C’est un modèle de résidence qui fonctionne très bien pour moi. Les résidences mentionnées précédemment étaient de courtes durées, entre 3 semaines et 1 mois.

(3) Exposition Ma nature prend le dessus dans le cadre de Colis suspect hors les murs (Bureau de poste de Cap aux Meules)
(4) Exposition chez Un gato en bicicleta, Séville. Yi Joon (autre exposante), Martina Perez (Airgentum) et Sonia lors du vernissage.

Dans les résidences en dehors de la ville de Québec, j’ai rencontré des artistes de différentes disciplines (les résidences choisies étaient ouvertes aux arts visuels et métiers d’art), et de partout dans le monde. C’est inspirant; j’ai pu utiliser des techniques ou matériaux qu’ils utilisaient, et vice versa.  J’ai réalisé que même si le bijou contemporain n’est pas nommé parmi les disciplines admissible de la plupart des résidences, tous étaient ouverts au fait de m’accueillir.  C’est davantage la démarche artistique que la discipline ou le matériau qui parle.

D’autre part, j’avais aussi envie de sortir de ma zone de confort et de voir de quoi j’étais capable avec très peu d’outils spécialisés.

 

Ta pratique dans le contexte d’une résidence d’artiste est-elle différente de ta pratique régulière dans ton atelier?  

Oui, tel que mentionné précédemment, j’y ai travaillé avec peu d’équipement.  Aux Canaries et à Séville, j’utilisais du cuivre et je soudais à l’étain avec un fer à souder. Ouf, c’était un beau défi! J’ai tout de même réussi à faire des œuvres, ou du moins à créer avec ces contraintes. Ça m’a appris à me faire confiance, et à trouver des moyens détournés de faire les choses. J’ai réalisé que j’avais davantage de potentiel technique que je ne le croyais! Aux Iles de la Madeleine, j’ai apporté un chalumeau et un Foredom, c’était le luxe!

(5) Atelier de la résidence Casa Tagumerche (Allojeros, Île de la Gomera, Îles Canaries, Espagne)
(6) Espace de travail dans l’atelier de Claude Bourque, sculpteur. Résidence AdMare arts visuels

Qu’est-ce qui t’amène à chercher des opportunités de résidences, hormis ta passion pour le voyage?

En premier lieu, c’est pour allier ces deux passions : le voyage et la création. Je voulais créer dans des contextes différents de celui de mon atelier de Limoilou. Je voulais aussi observer ces nouveaux territoires, et utiliser des matériaux trouvés sur place. Mais aussi, tel que mentionné, le but est de m’ouvrir à de nouveaux univers, et de rencontrer d’autres artistes.

 

Considères-tu chaque résidence comme un projet en lui-même ou y a-t-il une continuité dans tes diverses explorations?

Il y a une continuité dans mes projets, et je suis capable de les relier les uns aux autres. Ce sont mes explorations avec le sel qui m’animent davantage, mais comme le résultat n’est pas toujours certain, je poursuis toujours parallèlement des recherches avec d’autres matériaux. Je tente de créer des pièces issues d’un environnement précis, et qui ont une empreinte écologique faible. Ça me laisse pas mal de liberté.

(7) Broche Succulento 1, 2018. Basalte, ciment, cocotte de pin, cuivre, objet trouvé (bouchon de plastique), peinture, acier inoxydable
(8) Bague Préhistorique, 2018. Liège, cuivre.

 

Comment sélectionnes-tu les résidences auxquelles tu appliques? Ont-elles toujours un lien direct avec ta propre pratique ou adaptes-tu plutôt ta pratique à chaque nouveau contexte?

Les résidences à l’international ont été choisies pour mon amour pour l’Espagne, où je savais aussi qu’il y avait une mine de joailliers intéressants, entre autres à Barcelone.  J’ai appliqué aux Iles Canaries pour le milieu unique qu’elles offrent, ce sont des iles volcaniques dotées d’une flore exceptionnelle. D’autre part, elles ont des salinas (marais salant). J’aurais été intéressée à y aller, mais je n’ai pu y avoir accès faute de temps et d’accessibilité. En bref, je cherche des liens avec ma pratique, mais je m’adapte très bien aussi.

 

 

 

Images:

  1. Exposition couronnant la résidence Airgentum, à Séville, en Espagne. Crédit photo: Martina Perez
  2. Pièce réalisée dans le cadre d’une résidences à la Casa Tagumerche, aux Iles Canaries, en 2018. Crédit photo: Lucy Ridges
  3. Exposition couronnant la résidence AdMare aux Îles de la Madeleine. Crédit photo: Alphiya Joncas
  4. Exposition couronnant la résidence Airgentum, à Séville, en Espagne. Crédit photo: Kara Tuatara
  5. Crédit photo: Sonia Beauchesne
  6. Crédit photo: Sonia Beauchesne
  7. Pièce réalisée dans le cadre d’une résidences à la Casa Tagumerche, aux Iles Canaries, en 2018. Crédit photo: Sonia Beauchesne
  8. Pièce réalisée dans le cadre d’une résidences à la Casa Tagumerche, aux Iles Canaries, en 2018. Crédit photo: Sonia Beauchesne

 

Partagez l’article sur vos médias sociaux